Les opérations de rachat d’entreprises à fort effet de levier (2/2)

Par le 22 mai 2017

Le premier billet était consacré à la définition du LBO et des montages envisageables. Ce second billet se propose d’aborder ce qui distingue un bon d’un mauvais LBO, quelle recette en fera un succès ou un échec. En outre, au travers d’un cas simple, nous abordons la fragilité d’une entreprise en situation de LBO, situation qui peut la faire basculer rapidement dans une position difficile.

Les conditions préalables à un LBO réussi

Un LBO réussi est souvent le fruit d’une réflexion poussée en amont de l’opération, réflexion qui intègre l’importance d’y inclure des facteurs qui au final expliqueront le succès du projet.

Entreprises à flux de trésorerie stables, prévisibles

Il semble assez clair que la visibilité des flux de trésorerie futurs est un élément fondamental du montage LBO. Ce dernier reposant sur la mise en place d’une dette conséquente sur la société cible, il semble crucial que cette dernière puisse asseoir cette dette sur des flux solides, stables et prévisibles en vue de la rembourser.

Niveaux d’investissement mesurés

La cible doit pouvoir maitriser son volume d’investissement sur le moyen terme (7-10 ans). Cela ne signifie nullement que la cible doit se dispenser d’investir et se contenter de renouveler son appareil de production à l’identique. En revanche, des besoins d’investissements importants (croissance organique ou externe) ne créent pas les conditions idéales à un LBO (à considérer qu’ils aient été prévus et budgétés en amont et identifiés, la situation serait moins pénalisante mais ce n’est pas toujours le cas…).

Entreprise en phase de maturité

L’entreprise cible sera de préférence une entreprise en phase de maturité sur son secteur/ses produits. Ceci est un corolaire de la condition précédente. Pas question de viser un nouveau marché/secteur/produit…

Secteur non cyclique

Ce point parait une évidence et pourtant… Nombre de LBO ont été montés sur des entreprises dont l’activité et/ou le secteur était cyclique, entraînant de graves difficultés à un horizon rapproché. La société doit s’appuyer sur un horizon de moyen terme relativement stable et solide lui permettant de rembourser ses engagements financiers. Une activité cyclique ne permettrait pas une telle chose.

Risque industriel limité

Le risque industriel existe toujours, tout comme le risque entrepreneurial. Ce serait illusoire de penser l’éliminer. Dès lors, le minimiser ou bien le cantonner parait raisonnable. L’activité ne peut reposer son succès sur une nouvelle technologie non éprouvée et testée. Encore une fois , la société n’a rien d’une start-up et elle doit développer son activité sur la base de technologies connues et prouvées.

Secteurs à hautes barrières à l’entrée

La société a de façon préférentielle une situation concurrentielle favorable (un des leaders de son secteur). A défaut, elle dispose d’une rente de situation (« franchise value ») sur une ou plusieurs de ses niches de marché. A tout le moins, elle bénéficie, tout comme son secteur, d’un accès difficile pour ses éventuels concurrents et nouveaux entrants. Les barrières à l’entrée (droit conséquent, régulation élevée, ticket d’entrée minimum,….) sont suffisamment nombreuses et élevées qu’elles en découragent plus d’un. Faire un LBO sur une société ne disposant d’aucun de ces attributs peut mener à de graves déconvenues.

Risque de substitution faible

La société dispose également d’une gamme de produits et/ou services très difficilement réplicables et/ou substituables, rendant ainsi la tâche difficile à quiconque de ses concurrents voudrait la « banaliser ». La stratégie menée devra être plus une stratégie de différenciation qu’une stratégie reposant sur le coût marginal de production le plus faible.

Part de marché confortable sur une secteur niche

La société cible détient de façon préférentielle une part de marché prépondérante sur son secteur et si possible sur ces marchés de niches. Ainsi, cette position dominante au caractère différenciant lui confère le pouvoir de fixer des prix et des marges plus élevées que n’importe quel autre acteur du secteur.

Au final, ces quelques critères cités ici permettent de tracer plus précisément les contours du profil de l’entreprise type candidate au LBO. Il y aura toujours des exceptions c’est vrai mais la plupart du temps, monter un LBO sur une entreprise qui ne disposerait d’aucun voire de peu de ces critères conduira à un échec.

Après avoir présenté ces critères de succès, je me propose d’illustrer numériquement le montage d’un LBO au travers d’un cas simple que je ferai volontairement varier pour lui faire subir quelques chocs afin de voir comment il réagit.

Le cas de base résumé : principales hypothèses et interrogations

Entreprise cible d’un LBO, dont l’EBE annuel est estimé à 220m€. Aucune croissance de l’EBE n’est anticipée sur l’horizon de modélisation (qui est de 5 ans). La structure financière est de 800m€, dont 15% sont constitués de fonds propres. Le solde (soit 650m€) constitue la dette senior dont le taux est de 7% et la durée 10 ans.

Sur ces bases, et compte tenu d’un multiple de sortie envisagé à 5 ans de 3 années d’EBE, sur la base d’un investissement de 150m€, l’investisseur réalise un retour sur fonds propres de 456% ! Inutile de dire que c’est impressionnant. Toutefois, au risque de tempérer l’ardeur de certains d’entre vous, ce retour est soumis à un certain nombre de conditions, parmi lesquelles :

  • Le retour est 100% constitué de la sortie, aucun flux intermédiaire n’étant payé à l’actionnaire. Qu’advient-il si le multiple de sortie est contrarié ?
  • Le cash cumulé est non distribué et l’est uniquement à la fin : là encore quid du niveau de progression de ce cash ?
  • La dette est in fine, cad payée en fin de période, mais que se passe-t-il si les flux disponibles alors ne sont pas suffisants pour la rembourser ?

Mais compte tenu du retour sur fonds propres attendu, il faudrait un cataclysme pour que ceci se produise ! Vraiment ? Une simple sensibilité montre qu’en réalité une baisse annuelle moyenne de l’EBE de 9,6% sur la période suffirait à porter le TRI fonds propres à zéro et la dette dans cette circonstance ne serait pas remboursée, les fonds propres étant négatifs de 60m€ en fin de période. Une hypothèse loin d’être un cas d’école si une crise économique larvée comme nous en connaissons, vient à se produire.

Un exemple de LBO :  une hypothèse de base « optimiste »

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Un exemple de LBO : une hypothèse de base « optimiste »

Un cas alternatif à celui développé ici est celui qui intègre dans les flux de trésorerie disponibles le paiement du principal en cours de LBO, faisant peser un risque de refinancement bien moins important à la transaction que le cas précédent. Encore faut-il que les flux dégagés par l’entreprise le permettent. Pour autant, le cas de base présenté ici le permettrait ; des flux intermédiaires (dividendes) seraient alors perçus par les investisseurs en sus de la valeur de sortie. Le TRI fonds propres dégagé serait de 33%.

Un scénario stress consistant à ramener le TRI Investisseurs à zéro montre que seule une baisse de l’EBE de 4,6%/an est suffisante, autant dire une situation probable. A ce niveau la dette est néanmoins remboursée mais les investisseurs se contentent de leurs yeux pour pleurer… Une baisse de 8,8% de l’EBE en moyenne annuelle ramène la valeur des fonds propres à zéro et met en péril le remboursement de l’encours de dette en fin de période (325m€).

Un cas alternatif avec paiement de la dette et dividendes

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Un cas alternatif avec paiement de la dette et dividendes
On voit bien à travers ces deux cas qui traitent de la même entreprise combien l’équilibre est fragile et que la bascule vers de graves difficultés n’est qu’une question de modulation de certains curseurs (structure de capital, niveau de sortie, hypothèse de croissance des flux ou de l’EBE…). Une situation à première vue satisfaisante peut vite se voir contrariée par quelques ajustements mineurs non envisagés. C’est redire ici l’importance de monter une structure solide et des bases saines pour réaliser un LBO. Les principes édictés précédemment prennent tout leur sens. Du bon sens financier permet très souvent d’éviter la catastrophe.

Mener une analyse de risque fine et procéder à des sensibilités sur divers scénarios semblent constituer un préalable bien souvent éludé ou bâclé. Derrière les enjeux financiers on trouve aussi des enjeux de création de richesse et des enjeux humains qui doivent sans cesse être gardés à l’esprit des concepteurs de ces montages. Ils en portent au final la responsabilité.

Retrouvez la première partie de ce billet ici.

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Jean-Marc Dauriat Il y a 7 années

Bonjour, intéressant mais je ne comprends pas le calcul des valeurs de sortie dans le calcul du TRI sur fonds propres ( 844,7 dans le scénario 1 et 516,7 dans le scénario 2) Pourriez-vous préciser la formule de calcul ?
Cordialement

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